Dolziger Str. 2 ou VABDLNDV13N

 

Le jeudi 12 je vérifie la boite à lettres par prudence, avec une pointe idiote d’espoir en la poste. Rien. Le lendemain pareil. Rien. Le surlendemain je ne regarderai pas, ni les jours d’après. Vendredi 20 en sortant j’ouvre et trouve l’enveloppe kraft, fonce l’ouvrir chez un ami car la nuit tombe déjà. Le packaging semble être un rébus, mais aujourd’hui j’me dis juste que j’étais trop défoncé; le livret est un journal mystique, le cd se présente nu avec son numéro de série, et le drapeau est impossible à replier selon les marques des plis. Mais on l’accrochera. Bout de porte, dédicace, capote avec l’autocollant de la tracklist. Classe.

12788204_10207600644967548_609497304_n

Des mois ont passé, et je suis retombé sur l’ébauche de ce texte. Vint l’envie de le terminer, par respect pour le groupe et l’hystérie qui ambiance désormais la petite France. Petit retour en arrière, le 20 novembre pour être précis.

La galette est en écoute depuis une semaine grâce à Spotify, marquée par la démence et le vide ambiant, présent passé futur, une constante du canevas O2. Cela commence par la fin. Le jour de la sortie je m’étais rendu à l’évidence du dernier titre On naît on vit on meurt et sa ritournelle mélancolique, implacable chanson française aux allures de Louise Attaque, texte ciselé à cheval entre les espaces temporels voués à se mêler dans le présent du son, montée constante et rythme effréné de la ligne de basse, riff de guitare enfantin enlaçant les voix sereines et lourdes, claires et graves des loulous. Passé présent futur. Sans parler des paroliers. Possédés, désabusés, absurdement vrais. Prophètes ? Le son prendra la mesure du réel quelques heures plus tard, pendant l’apéro devant le world war classic France Allemagnequand les portables se mettront à sonner vibrer façon épilepsie. Il n’y aura plus de fête mais l’apéro et les potes et les pétards pleuvront, crépiteront partout comme des bombes, éteints au whisky jusqu’à la chute des corps, et cet album qui depuis m’obsède encore plus, revient en main à la manière d’un talisman. A à la recherche de je ne sais quoi, moi-même peut-être derrière le masque d’un groupe. Ce Doudou dont ils parlent. Maintenant c’est le souvenir de l’aube du samedi 14, assis sur une buvette au pied du Vercors, brisé avec les amis, Doltziger pour border le mal de crane.

La galette débute par une expiration de fumée, un souffle : Un corps à prendre. L’intro est une logorrhée typique d’Odezenne sur quelques notes de synthé, avec l’apparition lointaine d’une mélodie aérienne, bientôt synthétique et pop sur un arrière-plan cuivré d’orage vibratoire. La voix revient avec une tonalité différente, ralentie, chantante; cela constitue une thématique majeure de l’album distillée autour du souffle, du vent, de la (re)naissance. Avec ça trois autres topoï habituels se font sentir: le rôle de la nuit, la nécessité de l’autre, l’importance de la défonce. Il suffit de se laisser envoûter par le premier road trip Bouche à lèvres pour interpréter l’album et son mouvement, soit un déchirement provoqué par le climax de la déglingue, du désir, du contrôle qui s’étirent en sens inverse. La première direction tend vers le dancefloor, la fête, le chant, quand l’autre indique la perte de contrôle, le rap, la déformation du décor… Pour cela Bouche à lèvres colle bien avec Vilaine, les paroles de cette dernière faisant écho au son précédent avec ironie sur un synthé famille Adams et une basse lourdingue des familles. La famille et les responsabilités dansent en fond du clip réalisé par Vladimir Mavounia Kouka. Les paroles rappellent l’imagier d’Odezenne, la dureté de la voix qui traîne sans trembler, les chiens sortant de leur niche au crépuscule, les rimes vivantes injectées direct sur la rétine, la recherche d’une stabilité relative, aiguillé par le besoin de collision.

Odezenne dit se détacher du rap mais l’attitude reste. Ils sont à cheval comme un symbole sur la couv’ de Tsugi ou des Inrocks. De la même manière on ne se départ pas de l’expérience, la jeunesse, inspirations et aspirations, et lorsque Cabriolet déroule avec langueur une large bande bitumée devant mes yeux Melody Nelson traverse toujours en sortant du nulle part obscur, vient s’opposer se frotter à la voiture comme les femmes secouent le moteur du groupe sans prévenir, redéfinissent le/la carrosse(rie) par le choc; à l’intérieur de l’habitacle Mattia manie la guitare à travers les époques, sorte de guide vers les sources plus anciennes de l’album, là où auparavant les samples jouaient cette partition… et la roue voilée de la bicyclette continue de tourner dans la vide quand on se demande si les voix ressemblent plus à Serge Gainsbourg ou Jim Morrisson ou les deux, mais elles tiennent le ton qu’on leur connaît sans s’envoler aussi violemment qu’avant. Plus de calme, plus de profondeur, plus de sérénité : les compos ouvrent des portes avec délicatesse.

Alors quand Souffle le vent de nouveau on a l’impression qu’on nous la fait à l’envers, cela ne colle pas. On remarque la production à mesure, délicieuse dérive, continuum de Cabriolet avec des lignes anciennes pile au milieu de l’album. Les gars n’ont pas décidé de se renier, couper sec avec leur discographie, mais continuent juste la route avec ce passé de vent qui colle à la gueule. On répète les actes pour s’en libérer jusqu’à dégueuler des erreurs ou des succès. Le freestyle envoie un condensé du patrimoine Odezenne, cet ADN tant adulé par les cons de fanatiques de musique en général. Chez eux chaque virage me ravie, m’envoie ailleurs, ici dans le studio de radio où avait été craché aux côtés d’Oxmo et de la « nouvelle génération » ce texte sans complexe (et une chiée d’autres, souvenez-vous du décès de l’entourage, j’en frissonne encore). Sans parler des concerts… J’aimerais entendre de nouveau ce texte pour la première fois et cela se passe en direct, comme on laisse sa mue sur le côté du chemin, comme on attrape un souvenir à la volée dans la gueule de bois. Retombé d’un coma où le trou noir est fait d’alcool blanc.

Vodka prend donc le relais, annonce la seconde partie de l’album par une ritournelle alcoolisée, lente allégorie où l’enfance apparaît par surprise à la manière de Bouche à lèvres, comme pour perturber l’apéro, faire surgir le passé (ce que fait de façon magique le clip encore une fois : après l’animation, les images d’archive). Ce pourrait être une chanson de variété française typique mais la tonalité convoque plus Pink Floyd, Alain Bashung, Jacques Higelin… autres fantômes se baladant dans le disque. Autres témoins aussi du sentiment de liberté que représentent l’enfance et la défonce, l’idiotie et le pardon, la vie déliée de toute la « merde consciente du quotidien ». Refuser de marcher au pas (l’intro zapée du clip de Vodka) et préférer la curiosité, l’ébriété, le détour, la navigation. Tanguer pour vivre pleinement, avec les risques que cela implique. La dernière partie de l’album s’attaque encore plus précisément à ce problème inhérent au vice libertaire: ses conséquences. Avec Boubouche on passe les portes de l’enfer pour amorcer la chute ; un rythme déglingué de house et des paroles mises en boucle, poétiques, au service d’un son extatiques et sexuel au possible :

« Étrange ?

Mais qu’est-ce j’en ai à branler.

Les anges ?

Mais qui peut bien s’en soucier.

Mouvez mouvez-vous ?

Mouver dans la bou…

Dans ma …?

Dans sa… ?

Danse ! »

Lorsque j’écoute cela aujourd’hui j’imagine un enfant raconter l’avenir après une hyperglycémie. Un peu après le milieu de la piste le synthé funéraire rejoint les intenses basses et annonce l’interlude sans qu’on le sache, place la pièce à sa place dans le puzzle Doltziger écartelé entre le lourd et le léger- mais sans jamais plomber la cohérence de l’ensemble. Ainsi Ciao Ciao donne l’impression de la chute du funambule, un tunnel où on aboutit au coma face contre sol, et ciaooo bambino ! Dans le livret ou peut lire sous ce même Ciao : « (Les chats se cachent pour mourir) ». Coïncidence ? Je ne pense point… au passage, cela illustre de nouveau les deux pôles d’Odezenne, qui ne cessent de passer de chiens à chats depuis les tout débuts (profitez en pour réécouter le bien nommé « Chat suicide« , ensemble familial où chantent femme et enfants avec les loulous. Coïncidence ? J’arrête.). Satana ressemble alors à une prise de conscience tardive, un lendemain difficile autant qu’une renaissance, avec le souvenir de la veille accroché au cerveau, et les oublis aux nerfs : « Un œil humide, un cœur géant, une sale tristesse au bout des dents grince. Du vent rumine mon vieux gréement, tanguer la nuit sur un lit blanc. Bébé, y’a tant d’amour pour peu d’argent, tes jolies petites fesses c’est mes calmants, viens ! ». Ahhh putain…

On arrive à On naît on vit on meurt et il vaudrait mieux ne pas trop en parler, ne pas trop chercher. Disons que c’est la tête ou la queue du serpent, mais le track rempli son rôle de fermoir avec maestria : miroir d’Un Corps à prendre, il ferme le losange bleu matrice et établit la duplicité du projet Doltziger, l’ambition d’Odezenne : tracer son propre avenir (une étude des lignes de la main accompagne le texte du dernier morceau), exprimer la dualité contemporaine, associer les sons afin de créer plusieurs itinéraires d’écoutes, qui mèneront quoi qu’il arrive au même point d’arrivée : le rien final. Dialogue entre ciel et terre, union entre femme et homme, correspondance entre humain et animal. Ce projet devait trotter depuis longtemps dans leurs têtes, car y est disséminé tout ce qu’on connait du groupe mais avec sensibilité, sans ostentation aucune. Et ces derniers mois de merde, depuis ce 13 novembre, sont mis en perspective enfin, par hasard. Une retranscription parfaite de leur voyage, du processus employé. Sorte de rite initiatique, retour au passé par la réalisation du rêve : écrit & composé par Mattia, Al et Jako et hop! Allez tous vous faire enculer!

L’article a été écrit par @thomerh, suivez-le, c’est un bon. Cet article est à retrouver dans la suite de recueils « Voyage Au Bout De La Nuit Du 13 Novembre ».

3 réflexions au sujet de « Dolziger Str. 2 ou VABDLNDV13N »

  1. Pouah, la claque ct’article, à l’image de l’album qu’y est fichtrement bien mis en mots, j’y ai retrouvé toute la personnalité de chaques tracks dans une langue ronde et parlante, bravo l’auteur, merci Doltziger.

    J’aime

  2. vraiment vraiment hallucinant merci d’avoir partager cette pépite quand je vois ça et que a coté je vois toutes les musiques actuelle qu’on nous sert sur les ondes.

    bref ça fait du bon au coeur ❤

    J’aime

Laisser un commentaire